mardi 12 janvier 2010

USA/ Bilan d'une décennie

Les années 2000 auront été avant tout – des attentats du 11 septembre 2001 à la crise économique de 2008 et à l’élection de Barack Obama – celles d’un déclin américain. « Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Gros.La première décennie du XXIe siècle – les années 2000 – s’achève. Elle semble avoir été marquée, avant tout, par le déclin des Etats-Unis.En 2000, le PNB américain était de 9 000 milliards de dollars. En 2008, de 14 500 milliards. Soit près de +50 %. Mais le PNB mondial est passé, pendant la même période, de 42 000 à 65 000 milliards. Soit +55 %.La croissance mondiale a profité avant tout à Chine, passée de 1000 à près de 6000 milliards de dollars (près de +500 %) ; et en second lieu à la Russie, passée de 250 milliards à 1 200 (plus de + 400 %), au Brésil, de 623 milliards à 1500 (près de + 300 %), à l’Inde, de 455 milliards à 1200 (+150 %) et à l’Union européenne, de près de 10 000 milliards à près de 17 000 (+70 %). Le Japon est resté stationnaire, mais à un niveau élevé : 5000 milliards en 2000, 5000 en 2009 (+0%).Le dollar, devise mondiale de référence en 2000, a perdu le tiers de sa valeur. Il est désormais concurrencé par l’euro, qui s’est apprécié dans la même proportion. D’autres devises ambitionnent de jouer, elles aussi, un rôle « souverain » dans les finances internationales.La dette publique américaine atteint désormais plus de 80 % du PNB. Elle a augmenté de plus de 100 % en valeur absolue par rapport à 2000 : de 5000 milliards à 12 000 milliards. La dette privée atteint 130 % du revenu global des personnes et des ménages. Le déficit du commerce extérieur atteignait 6 % du PNB en 2008.A la suite de la crise de 2008, 10 % des entreprises américaines ont été détruites, et le chômage est passé de 5 à 10 % de la main d’œuvre active.Certes, ces chiffres ne signifient rien par eux-mêmes. La Chine et l’Inde se développent très vite, mais partent de très bas : c’est une croissance « d’équipement » (sur le plan intérieur) et de « différentiels de prix » (sur le plan international), appelée à ralentir à mesure que le niveau global de développement augmente. La croissance de la Russie et du Brésil ne repose en fait que sur la hausse – cyclique et donc réversible - de certaines matières premières. Celle de l’Union européenne est liée aux bons résultats de quelques pays leaders, eux-mêmes en symbiose avec les Etats-Unis : l’Allemagne (+50 % depuis 2000), la France (+70 %), la Grande-Bretagne (+65 %). La chute du dollar a préservé la vitalité de l’économie américaine et mondiale ; la hausse de l’euro n’a pas empêché la faillite de plusieurs pays qui avaient adopté cette devise (les PIGS, ou « cochons » : Portugal, Irlande, Grèce et Espagne). La dette publique ou privée doit être interprétée en fonction de divers contextes : le Japon a construit sa richesse actuelle sur une dette publique atteignant 170 % d’un énorme PNB. Enfin, le chômage est généralement de courte durée aux Etats-Unis.Mais ce qui signifie quelque chose, c’est que ces divers indices apparaissent en même temps. Et qu’ils coïncident avec d’autres signes négatifs, dans le domaine géopolitique.En 2000, l’Amérique faisait figure d’ « hyperpuissance » (selon la formule de l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine) : elle venait de gagner la guerre froide et d’éliminer sa seule rivale, l’Union soviétique ; elle servait de gendarme mondial (dans le Golfe, dans les Balkans) ; à travers l’Otan, elle dominait l’Europe ; ses réseaux d’alliances lui permettaient d’intervenir ou d’exercer son arbitrage aussi bien dans les Caraïbes qu’aux Proche, Moyen ou Extrême-Orient ; elle était en train de prendre pied dans le Caucase ou en Asie centrale.Une décennie plus tard, la situation est bien différente : les attentats du 11 septembre 2001 ont démontré que New York, le cœur même de l’Amérique, n’était pas à l’abri d’actes de guerre de première grandeur ; les contre-attaques en Irak et en Afghanistan se sont révélées malaisées ou insuffisantes ; le monde est devenu « multipolaire » (toujours selon Védrine) ; la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil, contestent systématiquement l’ « hégémonie » américaine ; l’Otan s’est fissuré en 2002-2003, à propos des opérations en Irak ; la plus grande partie de l’Amérique latine est sortie de l’orbite américaine ; la Turquie, tout en restant membre de l’Otan et tout en persistant à poser sa candidature à l’Union européenne, s’est rapprochée des pays arabes, de l’Iran et de la Russie.Le déclin américain n’a rien d’inéluctable. En 2003, les contre-attaques américaines au Proche et au Moyen-Orient étaient sur le point de réussir : jetant l’effroi dans les pays considérés comme de nouvelles cibles potentielles, Libye, Syrie, Iran, et chez certains de leurs amis occidentaux, tels que la France de Jacques Chirac. A cette époque, l’économie américaine était encore vigoureuse, le dollar fort, la dette publique contenue : « Faites-moi de bonne politique, je vous ferai de bonne finance », selon la formule du baron Gros. La situation ne s’est réellement dégradée qu’à partir de 2004 et surtout de 2005, quand une partie de l’administration Bush, minée de l’intérieur, a cessé de croire en elle-même et en sa mission.Pendant la première année de Barack Obama, élu, quoi qu’on en dise, en tant que candidat du renoncement national, un nadir provisoire a été atteint. Mais les Etats-Unis gardent un potentiel suffisant, tant en termes relatifs qu’en termes absolus, pour se redresser. Rien n’interdit de penser qu’Obama lui-même ne veuille pas aller dans ce sens. S’il ne le veut pas ou ne le peut pas, son successeur le fera.
Michel Gurfinkiel pour michelgurfinkiel.com le 28 décembre 2009

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