mardi 12 janvier 2010

Le retour des espions



Vingt ans après la guerre froide
Le retour des espions
Par Gilles Gaetner dans Valeurs actuelles.
Le renseignement est l’un des plus vieux métiers de la planète. On connaissait ses taupes, soviétiques ou américaines. Aujourd’hui, tout continue...Mais autrement! Plongée dans un monde toujours aussi fascinant.
Dans la Rome antique, déjà, l’empereur Auguste avait mis sur pied un service de renseignement destiné à le protéger de ses ennemis.La pratique a perduré au fil des siècles sous tous les régimes politiques. Qui ne connaît Beaumarchais, agent secret de haut vol,Richard Sorge ou Günter Guillaume, conseiller personnel de Willy Brandt – contraint à la démission en mai 1974 – qui travaillait pour l’Allemagne de l’Est ? Cette dernière figure – il y en a eu beaucoup d’autres – évoque l’époque de la guerre froide, où le KGB et les services de l’Est recrutaient des taupes chargées d’infiltrer les appareils d’État ou les organes officiels des différents pays d’Europe. La France en constituait une des cibles privilégiées, l’affaire Dobbertin).Après la chute du Mur en 1989, on aurait pu croire que les dirigeants du Kremlin seraient moins accros à l’espionnage. Erreur.
Inversement,toujours au moment de la guerre froide, quelques Français, fascinés par l’idéal soviétique,ont franchi la ligne jaune. Ainsi, Georges Pâques,ancien chef adjoint du service de presse de l’Otan qui sera inculpé pour intelligence avec l’ennemi dans les années soixante pour avoir fourni à l’URSS des renseignements provenant de l’Organisation atlantique. D’autres seront guidés, en grande partie, par l’esprit de lucre. Ce sera le cas de Francis Temperville, ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui, dans les années quatrevingt- dix,transmet à l’ex-Union soviétique des documents secret-défense sur les essais nucléaires français. Selon la DST, ce travail lui aurait rapporté plus de 400 000 dollars.
Au fil des ans,notre pays a compris que la protection des pans stratégiques de notre industrie (nucléaire, aéronautique, défense,informatique,etc.) constituait un impératif catégorique. Aujourd’hui,avec l’internationalisation croissante de l’économie,tout le monde veut savoir qui fait quoi chez le voisin. Dans un monde où la concurrence est rude, la découverte d’un brevet peut faire gagner dix,voire quinze ans,à une entreprise.Aussi,cette dernière doit-elle pouvoir se protéger et résister aux attaques de ses adversaires… Lesquels ne négligent aucun moyen pour parvenir à leurs fins.
À cet égard, ahurissante a été la stratégie mise récemment en oeuvre en Belgique,par le concurrent d’un grand groupe industriel français.L’objectif : sinon couler l’entreprise, tout du moins porter un coup à sa réputation. Le modus operandi : quelques hackers payés par le concurrent de l’entreprise française ont fait croire que l’étatmajor de ce dernier recelait quelques personnes impliquées dans des affaires de pédophilie.Accusation terrible. Qui a failli porter ses fruits. La vérité a finalement triomphé, les enquêteurs parvenant à démontrer que la direction du groupe hexagonal n’avait rien, mais rien du tout, à se reprocher.
Depuis une vingtaine d’années, les nouvelles technologies de l’information, dévoyées de leur mission, ont causé des dégâts considérables.L’ordinateur est devenu une sorte de Big Brother.Qui permet de tout voir.Tout savoir.Quoi de plus simple que de le confisquer sous de faux prétextes ! Telle est la mésaventure survenue en 2002 à une délégation de cadres français de l’industrie aéronautique qui effectuait une visite au Moyen-Orient.À peine étaient-ils descendus de leur avion que les membres de la mission se sont vus contraints de remettre leurs ordinateurs aux autorités.Protestations.Palabres. Rien n’y a fait. Lutte contre le terrorisme,leur fait-on savoir.Bien sûr, c’était faux et archifaux. Cette confiscation dissimulait en réalité une opération d’espionnage économique et scientifique. Dans ce domaine, les Chinois sont des orfèvres.
Au mois de mars 2009,un rapport de chercheurs de l’université de Toronto affirmait qu’un réseau baptisé Ghostnet (“réseau fantôme”) avait infiltré le contenu d’ordinateurs d’autorités gouvernementales de 103 pays de la planète. Parmi les cibles figuraient essentiellement les ambassades d’Inde, du Pakistan, de Malaisie, de Thaïlande et de Taiwan… Sans oublier les services du dalaï-lama. Le régime de Pékin a vigoureusement démenti ces accusations.Vrai ou faux ? En tout cas, tous les spécialistes le confirment : les Chinois n’hésitent pas à payer à prix d’or des chercheurs français pour qu’ils fassent des conférences à Pékin. Une façon de “pomper” le savoir de nos universitaires, parfois naïfs en se montrant trop bavards.Aussi,n’est-ce pas un hasard si Christian Harbulot, le fondateur de l’École de guerre économique, n’a pas voulu créer une antenne de cet établissement à Pékin.
Comme la Chine,le Japon se montre particulièrement performant. À telle enseigne que notre service du contreespionnage s’est souvent inquiété de la curiosité de ressortissants japonais, surtout dans le domaine des technologies nouvelles.
L’affaire Farewell (révélée au grand jour en 1983) qui permit de savoir, grâce à une taupe du KGB,comment les services de renseignement de l’URSS procédaient au pillage scientifique et économique de l’Ouest,fut le détonateur d’une prise de conscience. Laquelle donna naissance au concept d’intelligence économique, dont l’initiateur est le député UMP du Tarn,Bernard Carayon (lire son interview ci-contre).
En Europe de l’Est, les pots-de-vin s’imposent
Il était temps. Désormais, depuis plusieurs années, les pouvoirs publics sensibilisent nos entreprises quand elles partent à la conquête de marchés dans le monde,sont candidates à des appels d’offres internationaux ou souhaitent conclure des accords de joint-venture. Elles s’adressent alors à des cabinets de conseil en géostratégie ou d’intelligence économique qui sont chargés de détecter les forces et faiblesses de tel ou tel concurrent ou de les alerter sur les coutumes de tel pays. Ainsi, tout chef d’entreprise qui souhaite investir dans la distribution en Europe de l’Est doit savoir que des commissions – 5% de l’investissement – doivent être versées à certains décideurs… Sinon,pas de marché !
Chez nous, existent de drôles de pratiques.Un responsable d’un cabinet d’intelligence économique a reconnu que parfois, il utilise des moyens peu orthodoxes.En demandant par exemple à un banquier de lui communiquer, pour un de ses clients, les relevés de compte d’un concurrent. Il y a peu, le banquier réclamait, à titre de rémunération, un mois de salaire.Aujourd’hui, la barre est fixée à… un an.
Ces dérives sont rares.Les cabinets d’intelligence économique refusent en effet d’entrer dans l’illégalité lorsqu’ils prodiguent leurs conseils à leurs clients soucieux de se prémunir contre les intrusions de concurrents prompts à leur voler, qui un brevet, qui un ordinateur, qui une pièce d’un moteur d’avion. Hélas ! La profession n’est pas organisée et n’importe qui peut créer son cabinet.Aucun agrément des pouvoirs publics n’est demandé. Il faut y remédier.

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