mardi 12 janvier 2010

Nucléaire. La France mise en échec à Abou Dhabi.

Revers instructif pour l’EPR
Par Marie-Thérèse Ferracci

Fin d’année morose pour Areva et ses partenaires:Abou Dhabi a choisi le consortium mené par les Sud-Coréens plutôt que le français pour la construction de quatre réacteurs nucléaires. L’échec est d’autant plus cuisant qu’Areva travaillait sur ce projet depuis au moins deux ans.
Première raison de ce revers: le prix. Le contrat négocié par Anne Lauvergeon, Gérard Mestrallet (GDF Suez), Christophe de Margerie (Total) et Henri Proglio (EDF) atteignait 40 milliards de dollars (28 milliards d’euros) quand la Korea Electric Power Corp (Kepco), chef de file de la proposition qui associe Samsung, Hyundai, Doosan Heavy Industries, Westinghouse et Toshiba, ne demandait “que” 20,4 milliards de dollars. Moitié moins, certes, mais pour des technologies différentes.
La supériorité technique de l’EPR français n’a jamais été mise en cause face au réacteur de troisième génération APR 1400 proposé par les Sud-Coréens ou au réacteur japonais à eau bouillante,l’ABWR.L’EPR offre des caractéristiques de sécurité plus importantes que les produits concurrents. Elles lui permettraient notamment de résister à des actes terroristes. L’EPR serait capable de ne pas répandre de radiations dans l’atmosphère en cas de fonte du réacteur ou de chute d’un avion de ligne lancé à pleine vitesse sur la centrale. Cela a un coût, et après le 11 septembre 2001 la sécurité des installations sensibles a primé sur toute autre considération. Cet état d’esprit explique les projets de neuf EPR aux États-Unis,deux en Chine,deux également en Inde, quatre en Grande-Bretagne et autant en Italie.
Deuxième difficulté pour le consortium français:vendre un produit qui ne fonctionne encore nulle part,ni en Finlande, où un prototype est en construction, ni à Flamanville.Un défi d’autant plus difficile à relever que les trois années de retard pris sur le chantier finlandais,certes largement dues aux intervenants locaux,ont presque doublé la facture initiale de 3 milliards de dollars et semé le doute dans l’esprit des clients potentiels:pour eux, en dépit de ses qualités, l’EPR n’est pas encore une vitrine.
Si pas même Abou Dhabi ne peut se payer des EPR, qui le pourrait? Conscient que tous les pays – c’est le cas de la Jordanie ou du Vietnam – n’ont pas besoin de réacteurs aussi puissants, le groupe Areva développe de petits réacteurs comme l’Atmea de 1100MW, prévu pour 2011, ou le Kerena, en collaboration avec l’allemand E.ON.
La troisième raison de cet échec tient à l’arrivée des industriels français en ordre dispersé. À Total et à GDF Suez s’est joint EDF. Ce sont les autorités émiraties qui auraient souhaité l’implication d’EDF.Avec cinquante-huit réacteurs en exploitation, l’électricien leur a paru plus fiable qu’un GDF Suez à la tête de sept réacteurs en Belgique. « L’équipe de France a mis trop de temps à se mettre en ordre de bataille », a résumé Claude Guéant,secrétaire général de l’Élysée.
Henri Proglio,fraîchement arrivé à la tête d’EDF, aurait voulu dominer la négociationmais n’a pas eu le temps de s’intégrer dans l’équipe. Le 15 décembre, deux semaines seulement après l’entrée de son groupe dans ce consortium, il estimait qu’il n’y avait pas de « date butoir » pour cet appel d’offres et que la décision était prévue « vers la fin du premier trimestre 2010 ». Pourtant, dès fin décembre l’affaire était bouclée.
Dernière raison de cet échec,le caractère franco-français de la proposition. On peut s’étonner qu’aucun partenaire étranger ne se soit joint à Areva pour un contrat d’une telle importance. Pas même Siemens, partenaire d’Areva en Finlande, qui a rompu il y a un an son alliance avec le français pour rejoindre le russe Rosatom.
Dans ce domaine comme dans d’autres, l’Asie montre sa capacité à relever des défis que les Occidentaux jugeaient à tort hors de sa portée.Et tout le monde n’a pas forcément besoin d’une Rolls- Royce quand une Citroën C1 fait l’affaire....

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire