mercredi 16 décembre 2009

Rôle de la communauté druze dans la construction du Liban

Rôle de la communauté druze dans la construction du Liban[1]

Prof. Abbas el HALABI


Introduction
En vertu de sa situation géographique, de son attitude de défense vis-à-vis des puissances étrangères et de sa constante recherche d’indépendance, l’histoire de la communauté druze demeure dans l’ensemble indissociable de l’histoire du Liban.

Passage en revue des grandes étapes de l’histoire druze :
- Début 11ème s. naissance du mouvement religieux druze en Egypte :
1017 : début de la « dawa al-tawhid » ;
1021 : mort du calife al-Hakim et persécution des adeptes de cette nouvelle discipline religieuse ; elle commence à se répandre en-dehors de l’Egypte, en particulier dans toute la Syrie médiévale (le Bilad el-Sham) ;
1043 : fermeture de la « Porte d’adhésion » ; nous pouvons considérer que les Druzes, jusqu’alors adeptes d’une discipline religieuse, sont devenus les membres d’une communauté à part entière.

- Période des croisades (fin 11ème – 13ème s.) : le Comté de Tripoli (un des quatre Etats latins) occupe une grande partie du Liban actuel. Cantonnés dans de petits émirats dans les montagnes libanaises, les Druzes adoptent une attitude de neutralité et de défense vis-à-vis du monde extérieur. Minorité située à la frontière de deux mondes, prise entre la ville de Damas aux mains des musulmans et des villes de Beyrouth, Sidon et Tyr aux mains des croisés, la communauté druze était contrainte d’agir ainsi pour sa propre survie. Elle devait parfois se prêter à un savant jeu de balance politique.

- Période mamelouke (13ème – début 16ème s.) : la communauté druze resta fidèle aux Mamelouks durant tout le règne de ces derniers, de la défaite des Mongols en Syrie jusqu’à la victoire des Ottomans au début du 16ème s. Elle participa aux combats contre Tamerlan en 1401, et prit part à l’expédition mamelouke contre le royaume franc de Chypre en 1425, qui se solda avec succès par la prise de l’île.

- 1516 : les Ottomans défirent les Mamelouks et envahirent le Bilad el-Sham. La famille druze des Buhtur, fidèle aux Mamelouks, perdit sa position dans le Mont Liban et la direction de la communauté druze passa au clan Maanite, implanté dans le Shuf. Les Ottomans se heurtèrent rapidement à la résistance de cette famille et l’histoire de l’émirat Maanite se révéla par la suite très riche en luttes anti-ottomanes.

La région du Liban ne formait jusqu’alors qu’une composante de cette vaste entité qu’était le Bilad el-Sham. Elle ne devint une entité politique et territoriale autonome que sous la domination de l’empire ottoman, et un Etat à part entière que très tardivement, en 1920.
Aborder le rôle de la communauté druze dans la construction du Liban revient donc à évoquer cette émergence tardive, au début du 17ème s.

Bien que n’ayant pas toujours occupé le devant de la scène historique et politique du Liban, la communauté druze fût pourtant présente aux moments clé de son émergence. Cette partie de son histoire n’est d’ailleurs souvent évoquée qu’à travers ses principales figures historiques, Fakhr al-Din II ou Kamal Joumblatt. De fait, ces personnalités œuvrèrent constamment, au-delà de leurs simples préoccupations communautaires, pour l’indépendance et la liberté du Liban, face à des pouvoirs étrangers coercitifs.


1) L’émergence de l’idée libanaise (17ème s.)

1.1) La région libanaise et l’empire de la Sublime Porte
- L’émergence du pouvoir ottoman (originaire d’Anatolie) et sa victoire (1516) sur l’empire mamelouk (originaire d’Egypte), alors maître du Bilad el-Sham. La région libanaise est annexée à l’empire ottoman.
- L’autorité de l’empire ottoman ne s’exerce directement que sur la côte et les principaux ports. Ailleurs, elle ne s’exerce pas de manière directe, et l’autonomie des régions ou des émirats n’est accordée qu’après le paiement d’un tribut.
- Dans la région libanaise apparaissent alors des traits marquants que l’on retrouve dans la société libanaise contemporaine : très fortes solidarités familiales, solidarités de clans, la communauté religieuse devient le cadre de l’organisation sociale.
- Au Mont Liban, la famille Buhtur du clan Tanukhide, qui était à la tête de la communauté druze et fidèle à l’Empire mamelouk, perd son pouvoir au profit de la famille druze des Maan. L’autorité de celle-ci est aussi bien reconnue par les Druzes que par les Maronites de la montagne.
- Le pouvoir et l’influence de la famille Maan connurent leur apogée avec le règne de l’émir Fakhr ed-Din.

1.2) Le règne de Fakhr ed-Din (1590-1635) et l’autonomie du Mont Liban
- Homme d’Etat dans le sens moderne du terme, Fakhr ed-Din fut en quelque sorte l’architecte de l’idée libanaise. Diplomate avisé, administrateur de talent, libéral et tolérant, il s’affirma comme un dirigeant majeur de la communauté druze et fit l’impossible pour créer un Etat homogène et indépendant au cœur de l’empire ottoman.

- Né à Baakline, dans le Shuf, en 1572 ; élevé dans une famille chrétienne au Kesrouan ; prend possession de son titre d’émir et de son fief, le Shuf, en 1590.
- Il agrandit considérablement son territoire et contrôla diverses régions en Syrie, Palestine et Transjordanie à partir de 1610, ce qui lui valut le surnom de sultan al-bar (empereur du continent).
- Allié au gouverneur d’Alep, Ali Basha Joumblatt (ancêtre de l’actuelle famille Joumblatt), contre les cités ottomanes de Damas et Tripoli.

- Sa résistance à l’autorité ottomane le contraint à s’exiler en Toscane (Italie), de 1613 à 1618, où il est accueilli par les Médicis.
- Il s’y informe sur les techniques et l’administration européennes, et retire beaucoup d’enseignements de la Renaissance occidentale. Il rapporta dans son pays de nouvelles réalisations en matière d’architecture et d’urbanisme, et ramena avec lui des artistes, des architectes, ainsi que des techniciens afin de moderniser les principaux secteurs économiques et agricoles de son pays.
- Il tenta à son retour de développer pour le Liban une vocation méditerranéenne : les ports de Beyrouth, Sidon et Acre et renouèrent leurs relations économiques avec l’Occident. Lui-même noue des liens politiques et militaires.

- Au-delà de l’extension et de la prospérité de son territoire, l’esprit ouvert et tolérant de Fakhr al-Dīn joua un rôle clé dans son succès. Sa politique sociale, à l’esprit laïc indéniable, s’étendit à l’ensemble de ses vassaux sans distinction de culte. Sous son patronage et à la faveur de la prospérité économique, les Druzes et les Maronites du Mont Liban vécurent dans une atmosphère de tolérance mutuelle.
- Les seigneurs druzes, sous l’impulsion de leur émir et pour alimenter sa politique économique, cherchèrent à attirer les populations chrétiennes dans leurs territoires afin qu’elles y assurent les métiers artisanaux et le commerce. Ils leur donnèrent des terres pour leur permettre de fonder des églises et des monastères. Profitant de cette alliance, les Maronites consolidèrent leur position politique et économique. Ils s’implantèrent dans la majeure partie des territoires druzes du sud et de la côte libanaise, s’y enrichirent et y prospérèrent, devenant eux-mêmes propriétaires fonciers.

- Son ambitieuse politique d’ouverture, de développement économique et de construction d’un territoire homogène, ainsi que ses succès, accompagnés de tendances autonomistes en matière de politique et d’économie, éveillèrent une grande suspicion chez les Ottomans.
- Ne pouvant admettre une telle volonté d’indépendance, le sultan engagea donc contre l’émir Fakhr ed-Din une gigantesque campagne militaire sur terre et sur mer. Vaincu après une vigoureuse résistance, finit par se rendre au wali de Damas, fut emmené captif à Constantinople et condamné à mort en 1635.

- Après le règne de Fakhr ed-Din, toute tentative sérieuse d’autonomie régionale s’évanouit pour longtemps de l’histoire ottomane. Sa mort annonçait pour la communauté druze une période de décadence.


2) Le déclin politique de la communauté druze (18ème – 19ème s.)

2.1) Le règne de la famille Shihab
- Le dernier émir maanite disparut en 1697, cédant le pouvoir à la famille des Shihab, du clan Qaysite. Celle-ci régna de 1698 à 1841 sur le Mont Liban, jouissant d’une autonomie presque totale et s’exerçant dans le cadre d’un pouvoir de type féodal.

- Luttes de clans se poursuivant jusqu’au début du 18ème s., se soldant par la victoire décisive des Qaysite à la bataille de Ayn Dara, en 1711.
- En 1764, le clan Shihab se convertit à la religion maronite, ouvrant ainsi la voie à une future guerre civile.

- L’émir Bashir Shihab II (1790-1840) arriva au pouvoir dans le dernier quart du 18ème s., avec le soutien d’Ibrahim Basha, gouverneur de Beyrouth et fils du gouverneur d’Egypte Muhammad Ali.
- Il élimina dans un premier temps les shaykhs de la famille Nakad en s’appuyant sur les différents partis Qaysites, puis finit par réduire à l’impuissance les clans Yazbakite et Joumblattite.
- En 1825, il infligea une importante défaite militaire au shaykh Bashīr Joumblatt.
- A partir de 1830, Bashir Shihab II acheva de devenir seul maître du Liban en facilitant la conquête du Bilad al-Sham par les troupes égyptiennes d’Ibrahim Basha. Les Egyptiens furent dans un premier temps bien accueillis, mais les difficultés surgirent lorsqu’Ibrahim Basha voulut imposer aux Druzes le paiement de lourds impôts, un service militaire obligatoire et le désarmement de leur communauté. Des révoltes éclatèrent alors à la fois contre Ibrahim Basha et Bashir Shihab II.

- Le Liban devint alors de plus en plus le terrain de rivalités entre les puissances européennes. Tandis que les Anglais soutenaient les Ottomans en encourageant les soulèvements populaires au Liban, les Français souhaitaient prendre pied dans le Bilād al-Shām en soutenant Muhammad Ali et la communauté maronite. Les troupes ottomanes purent reprendre pied en Syrie. Bashīr II fut alors contraint de s’incliner face au sultan et aux Anglais, et partit en exil.


2.2) Les conflits druzo-maronites et la fin du premier Liban
- L’action politique de Bashir Shihab II et l’occupation militaire égyptienne de la Syrie ont non seulement démantelé la structure féodale du Liban, mais ont également accru l’hostilité entre les communautés druze et maronite. De manière plus grave, les efforts de Bashir Shihab II tendus vers l’anéantissement politique de la communauté druze ont sapé l’idée d’un Liban indépendant élaborée sous le règne de l’émir Fakhr al-Din II.

- 1841 : guerre civile entre les deux communautés religieuses ; massacre des Maronites par les Druzes.
- 1842 : création par les Ottomans d’un double caïmacan (al-qā‘im maqāmiyatān ou "les deux départements"), divisant le Liban en un district druze et un district maronite. Découpage maladroit laissant des noyaux maronites dans le district druze et inversement, entraînant de nouvelles confrontations entre les deux communautés.
- 1858-1860 : nouveaux massacres de Maronites par les Druzes. Les Anglais soutenaient les Druzes, les Français soutenaient les Maronites.

- 1860-1914 : sous la pression des puissances occidentales, les Ottomans réunissent les deux caïmacans en une province autonome unique, la mutasarafiya, sous l’autorité d’un gouverneur chrétien non Libanais.

- Au-delà de l’aspect confessionnel, ces violentes confrontations entre Druzes et Maronites avaient des aspects économiques et sociaux, les fermiers maronites cherchant à s’affranchir du joug de la féodalité druze. Ces troubles finirent par aboutir à l’émiettement de la grande propriété et au démantèlement du féodalisme druze.

- 1860 marqua la fin de l’émirat du Liban.

2.3) Le Grand Liban et la mainmise française (1920-1943)
- Première Guerre mondiale : l’Allemagne s’allia à l’empire ottoman tandis que les Français et les Anglais soutinrent la révolte arabe. Le Liban fut le théâtre d’affrontements entre ces divers belligérants.
- Octobre 1918 : Sultan Basha al-Atrash, originaire du Jabal al-Duruz, fut le premier chef druze à entrer à Damas avec les troupes alliées.

- A la fin du conflit, les Druzes soutinrent avec force l’idée d’un gouvernement arabe, s’opposant à l’idée d’un mandat étranger français a Damas et Beyrouth. Les dirigeants et les élites intellectuelles druzes s’attendirent à ce que le gouvernement arabe de Faysal renversât en faveur de leur communauté l’équilibre des pouvoirs au Mont Liban. Ils manifestèrent la volonté de créer un Etat libanais indépendant, qui devait être pour eux la garantie d’une liberté qu’ils avaient connue à certaines périodes de leur histoire, au cours de la période ottomane.
- Face à l’insistance des alliés européens, le gouvernement arabe (1919-1920) fut voué à l’échec et prit fin avec la défaite de Faysal à Maysalun, en 1920. Le mandat sur la Syrie et le Liban fut alors confié aux Français.

- 1er septembre 1920 : le Général Gouraud, Haut Commissaire du Gouvernement français chargé de l'exécution de ce mandat, proclama la création de l'état du "Grand Liban", réunissant le littoral, le Mont Liban et la plaine de la Bekaa.

- Pour les Druzes, l’introduction de l’administration mandataire au Mont Liban constituait une nouvelle forme de domination maronite soutenue par les Français. Convaincues que les Français avaient formé le Grand Liban sous la pression des élites chrétiennes, les élites druzes se persuadèrent que ce nouvel Etat, quelle que fut sa taille, garantirait toujours la prédominance des Maronites. De fait, les Druzes perdirent encore davantage de leur autonomie politique au profit des Maronites et le seul poste officiel dont ils bénéficièrent fut celui du caïmacan du Shuf, une sous unité administrative.

- 1925 : révolte druze dans la région du Jabal al-Duruz. Les Druzes se lancèrent dans une révolte armée contre le Mandat, de 1925 à 1927, mais leur soulèvement fut sévèrement réprimé. Ils se résignèrent alors à vivre sous l’autorité mandataire française et refoulèrent leur enthousiasme national.
- Les Druzes continuèrent malgré tout, durant l’entre-deux guerres, à adhérer à des partis nationaux réclamant l’indépendance du Liban.


3) De l’indépendance à la guerre civile du Liban (1943-1990)

3.1) L’indépendance du Liban
- Le pouvoir du mandat français en Syrie et au Liban commença à vaciller à partir de 1941, ouvrant la voie à cette indépendance, à la faveur de la Seconde guerre mondiale.
- Novembre 1943 : les Français firent arrêter un certain nombre de dirigeants libanais. Le ministre de la défense et émir druze Majid Arslan y échappa et proclama avec d’autres dirigeants libanais un gouvernement provisoire libanais.
- 22 novembre 1943 : proclamation de l’indépendance du Liban Le Pacte national institue un système politique confessionnel répartissant les pouvoirs entre Maronites, sunnites, chiites, Druzes, Grecs orthodoxes et Grecs catholiques.

- Les Druzes arrivent finalement très affaiblis politiquement à l’année 1943, au même titre que l’ensemble des communautés musulmanes. Le nouvel Etat libanais privilégie avant tout la communauté maronite.
- Les Druzes, malgré leur rôle historique, furent les grands oubliés de ce nouveau schéma constitutionnel. Le Grand Liban désormais indépendant ne fut pas une reprise du ‘imāra (émirat) imaginé par Fakhr ed-Din, mais une continuation des protocoles de 1864, qui avaient officiellement fait disparaître la féodalité.


3.2) Kamal Joumblatt, ou la réaffirmation de la communauté druze
- Le rôle politique de la communauté druze ne peut s’envisager sans le poids de son principal dirigeant, Kamal Joumblatt (1917-1977), sur la scène politique libanaise. Les Druzes eurent avec lui un dirigeant de grande envergure, très actif sur le plan politique et qui leur permit d’endosser de nouveau un rôle prépondérant dans les affaires intérieures du Liban.

- 1948 : création de l’Etat d’Israël, qui porte en elle les germes de la tourmente qui secouera désormais tout le Proche-Orient. Kamal Joumblatt fut dans un premier temps plutôt favorable à la résolution des Nations Unies qui reconnaissait la partition de la Palestine en deux Etats souverains, l’un juif et l’autre palestinien.

- Membre de l’opposition au gouvernement de Béchara al-Khuri (1948).
- Création du PSP (1949), afin d’échapper à une politique purement communautaire. Refusant le rôle de seigneur féodal, Kamal Joumblatt regroupe derrière lui des membres de toutes les communautés.
- A la tête du Font National progressiste, Kamal Joumblatt participe à la chute de Béchara al-Khuri. Soutenant dans un premier temps son successeur Camille Chamoun, il finit par s’éloigner de lui.

- Influence du contexte international sur la scène politique libanaise : le président égyptien Nasser, soutenu par l’Union soviétique, se fit le champion du nationalisme arabe et de la croissance économique de l’Egypte. Afin de limiter son influence sur le Proche-Orient, les Américains créèrent un axe politique regroupant l’Iran, l’Irak et la Turquie afin de s’opposer à lui.
- Après la crise du Canal de Suez, Kamal Joumblatt se rangea avec l’ensemble des musulmans derrière les aspirations de Nasser. Camille Chamoun pencha en faveur du camp américain.

- 1967 : Guerre des Six Jours.
- L’aile gauche politique et de la majorité de la communauté druze et des communautés musulmanes soutiennent les Palestiniens ; les communautés chrétiennes s’y opposent ainsi qu’une partie de la communauté druze, dès lors que la présence palestinienne au Liban est armée.
- 1969 : accord du Caire ; à cette occasion, création d’un nouveau gouvernement libanais. Kamal Joumblatt, pressenti comme le mieux apte à assurer la sécurité interne du Liban, y est nommé ministre de l’intérieur. Parvient aussi bien à remplir sa tâche qu’à préserver la résistance palestinienne.

- 1970 : arrivée au pouvoir de Hafiz al-Assad en Syrie.


3.3) Les Druzes au cœur de la guerre civile libanaise
- Toute l’envergure politique et l’œuvre de Kamal Joumblatt prirent leur ampleur lors de la guerre civile libanaise.
- 1975 : déclenchement de la guerre civile.
- Malgré la prédominance chrétienne, Kamal Joumblatt représenta quasiment la moitié du pays sur le plan politique durant la guerre civile. Il dirigeait, en dehors de la communauté druze, la majorité de la population musulmane, possédait de nombreux alliés parmi les Palestiniens et à travers le monde arabe, et avait rallié à lui un certain nombre de chrétiens sous la bannière du PSP. Cette envergure politique et la nature de la situation au Liban marginalisa quasiment les autres dirigeants de la communauté druze durant toute la guerre.
- Obéissant à un réflexe minoritaire de défense, les Druzes, voyant leur communauté menacée, se polarisèrent autour d’un dirigeant unique, Kamal Joumblatt dans un premier temps, puis son fils Walid dans un second temps.
- Malgré le conflit, Kamal Joumblatt était conscient de la nécessité d’épargner la cohabitation entre les communautés druzes et chrétiennes au Mont Liban. L’histoire était là pour rappeler, par les massacres commis entre Druzes et Maronites au 19ème s., que cette cohabitation avait coûté très cher et qu’elle était désormais trop précieuse. La prédominance maronite au gouvernement, à laquelle Kamal Joumblatt était hostile, ne justifiait pas à ses yeux une guerre civile et il ne voulait pas que celle-ci soit portée au cœur du Mont Liban.

- Kamal Joumblatt demande dans un premier temps l’aide de la Syrie, tandis qu’une partie du camp chrétien s’allie avec Israël.
- Rupture de Kamal Joumblatt avec la Syrie lorsque cette dernière décida d’intervenir au Liban sur le plan militaire. Les troupes syriennes pénétrèrent au Liban en juin 1976 et les Druzes tentèrent de s’y opposer sur le terrain. Kamal Joumblatt fit en outre appel à l’ensemble du monde arabe afin que la Syrie cessât son ingérence dans la politique libanaise, mais il n’obtint aucune réponse ferme. La Syrie, fermement décidée à s’immiscer dans les affaires internes du pays, ne serait pas stoppée.
- Le président syrien Hafiz al-Assad confessa, après la guerre du Liban, que Kamal Joumblatt, davantage au faîte de la politique interne du Liban, avait su percevoir, contrairement à la Syrie, qu’Israël manipulaient les chrétiens et les avait poussés à prendre parti contre la présence syrienne.

- Deux sommets arabes, l’un en Egypte et l’autre en Arabie Saoudite, tentèrent de mettre un terme à la guerre civile de 1975-1976. Kamal Joumblatt en contesta les résultats, conscient que la Syrie n’en appliquerait pas les résolutions et ne lâcherait pas sa pression sur le Liban. Du fait de sa violente opposition, il se vit conseiller de quitter le pays mais s’y refusa catégoriquement.

- Kamal Joumblatt fut assassiné le 16 mars 1977, sans doute parce qu’il incarnait la défense de la souveraineté libanaise. Son fils, Walid Joumblatt, lui succéda à la tête de la communauté druze et du PSP. Il fut investi de ses pouvoirs par le Shaykh al-‘aql Muhammad Abū Shaqrā’ le jour des funérailles de son père, selon la tradition féodale.

- 1982 : entrée d’Israël au Liban. Les troupes israéliennes encerclent Walid Joumblatt à Mukhtara.

- Des problèmes au Mont Liban commencèrent à surgir entre les communautés druzes et maronites. Les chrétiens avaient pour objectif le contrôle du Mont Liban méridional.
- Dès qu’Israël se retira du Mont Liban, les Druzes se retournèrent contre les Maronites et ce fut le début d’une seconde guerre civile, baptisée la guerre de la Montagne, en septembre 1983. Elle fut fatale à la cohabitation entre les deux communautés, pourtant si chère à Kamal Joumblatt et bâtie en commun au cours des siècles malgré les dissidences, les divergences et les conflits passagers. En l’espace d’une seule journée, près de soixante-dix villages chrétiens, dont les habitants furent massacrés ou obligés de fuir, tombèrent aux mains des Druzes. Il s’ensuivit un exode massif de populations chrétiennes en dehors de leurs villes et de leurs villages, posant le réel problème des "déplacés de la montagne".

- 1989 : accords de Taïf. Les Druzes n’y obtiennent rien de substantiel.

Conclusion
- Fidèles à l’attitude qui prévalut durant toute leur histoire, les Druzes firent preuve durant la guerre du Liban de la volonté ferme de préserver l’arabité, l’indépendance et la souveraineté du Liban. Afin de rester fidèles à leur héritage historique, ils payèrent un lourd tribut en termes de martyrs, de mutilés de guerre et de destructions matérielles dans leurs propres régions.
- Kamal Joumblatt avait été durant la guerre, comme de nombreux autres dirigeants libanais, porteur d’espoirs pour les membres de sa propre communauté. Les circonstances tragiques de sa mort provoquèrent, par un réflexe minoritaire naturel, un rassemblement sans concession autour de son fils Walid. Ce dernier, grâce à l’héritage politique de son père, se retrouva à la tête d’un mouvement national ignorant les clivages communautaires. La guerre de la Montagne lui permit de démontrer sa capacité à défendre la communauté et de faire ses preuves en tant que chef militaire et politique.
- Mais la fin de la guerre et l’application des accords de Taïf réduisirent Walid Joumblatt, qui avait hérité dans un premier temps de l’envergure internationale et arabe assez forte de son père, au rôle plus élémentaire de dirigeant libanais. Les Druzes furent contraints de se replier vers la politique interne du Liban par la force des circonstances, la Constitution ne laissant qu’une infime place à leur participation. Le décalage existant désormais entre leur héritage historique et leur réalité politique actuelle provoqua chez eux un vif sentiment de frustration.
- Toutefois, les évènements qui secouent le Liban depuis 2005, en particulier depuis l’assassinat de Rafiq Hariri, bouleversèrent encore une fois cet état de fait. Walid Joumblatt et la communauté druze purent de nouveau pleinement exprimer leur attachement au Liban et œuvrer pour sa stabilité.
- Ce sont ces évènements et ces idées qui seront abordées dans les conférences suivantes, sur le rôle et les options politiques actuelles de la communauté druze.



[1] Ref : Les Druses: Vivre avec l’avenir, Abbas el Halabi, Dar Annahar, Beyrouth, 2005.

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