samedi 26 décembre 2009

Chrétiens en terre d'islam

Chrétiens en terre d'islam

Le temps des souffrances
Fabrice Madouas le jeudi, 24/12/2009
dans Dossier d'actualité
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Par Fabrice Madouas

La situation des chrétiens se dégrade dans les pays musulmans. Ils n’ont souvent le choix qu’entre l’exil et la “dhimmitude”, qui fait d’eux des citoyens de second rang.

Célébrer Noël dans la discrétion. C’est ce que vient de demander l’évêque chaldéen de Bassorah à ses fidèles, et ce que s’apprêtent à faire tous les chrétiens d’Irak. Le 15 décembre, deux attentats perpétrés à Mossoul,dans le nord du pays,ont fait 4 morts et 40 blessés.Une voiture piégée a explosé devant une église syriaque orthodoxe. Quelques instants auparavant, trois bombes artisanales avaient éclaté devant l’église syriaque catholique de l’Annonciation. Le 26novembre, deux autres engins avaient endommagé les locaux du couvent Sainte-Thérèse,où vivent six religieuses, et détruit l’église chaldéenne Saint- Ephrem. En mars 2008, l’archevêque chaldéen de Mossoul,Mgr Rahho,avait payé de sa vie sa foi chrétienne .Les trois diacres qui l’accompagnaient ont eux aussi été assassinés.

Mossoul demeure un bastion islamiste d’Al-Qaïda. Mais les chrétiens ne meurent pas seulement en Irak. Au Pakistan, sept chrétiens ont été tués à Gojra, le 1er août, par des musulmans qui les accusaient d’avoir profané le Coran.Une église et quarante maisons ont été incendiées. Dans un pays très majoritairement musulman, la loi contre le blasphème, adoptée dans les années 1980, « fait de plus en plus de victimes », constate l’association Aide à l’Église en détresse (AED) dans son rapport sur « la liberté religieuse dans le monde » (2008) : les injures contre le Coran sont passibles de l’emprisonnement à vie, les délits envers le prophète Mahomet, de la peine de mort.

Au Soudan, si les habitants des régions du Nord sont soumis à la charia, ceux du Sud, chrétiens ou animistes, bénéficient en principe de la liberté religieuse. Mais ils subissent des persécutions dont le récit suscite la stupeur : « Le 13 août, des rebelles sont entrés dans l’église de ma paroisse pour prendre plusieurs fidèles en otages. Au cours de leur fuite dans la forêt, ils ont tué sept d’entre eux. Ils les ont crucifiés à des arbres », a raconté sur Radio Vatican Mgr Kussala,évêque du diocèse de Tombura Yambio. Certains de ces rebelles,qui reçoivent l’aide du gouvernement de Khartoum, « ont été formés par Al-Qaïda en Afghanistan. Ils sont contre notre Église, leur but est de terroriser les chrétiens », explique-t-il.

De nombreux crimes sont commis contre les chrétiens chaque année, presque partout dans le monde. Selon l’agence Fides, vingt missionnaires ont été assassinés en 2008 : un archevêque, seize prêtres, un religieux et deux volontaires laïcs. Cette année, le père Louis Blondel, 70 ans, a été tué le 7 décembre en Afrique du Sud : c’est le quatrième prêtre assassiné en un an dans ce pays. Dans les dictatures communistes, la Chine, la Corée du Nord ou le Viêtnam,bien des chrétiens sont réduits à pratiquer leur culte clandestinement. La liberté religieuse « est loin d’être partout vraiment respectée, constate Benoît XVI. Dans certains cas, elle est niée pour des raisons religieuses ou idéologiques ; dans d’autres, bien que reconnue par écrit, elle est entravée dans les faits par le pouvoir politique ou, de manière plus insidieuse, par la prédominance culturelle de l’agnosticisme et du relativisme » – y compris en Europe.

Ce n’est donc pas seulement en terre d’islam que les chrétiens ont du mal à vivre leur foi. Et l’on souligne parfois, a contrario, qu’ils y parviennent sans difficulté dans certains pays musulmans. Mais cette tolérance concerne surtout les étrangers ou les communautés encore nombreuses et installées depuis longtemps dans ces pays. Jamais les convertis ou ceux qui voudraient se convertir. En Tunisie, l’Église catholique jouit d’une reconnaissance officielle en vertu d’un modus vivendi signé entre le Saint- Siège et le gouvernement tunisien en 1964. Mais la Constitution précise que l’islam est la religion de la Tunisie et les chrétiens en question sont étrangers.

En Jordanie, où Noël est officiellement férié depuis 1996, comme en Syrie, où les communautés chrétiennes bénéficient de la liberté absolue de construire des lieux de culte, « on sent parfois que le volcan gronde, mais il n’y a pas d’explosion. En Jordanie, le Parlement a tenu bon plusieurs fois contre la demande de députés fondamentalistes d’appliquer la charia », expliquait Mgr Brizard, directeur général de L’OEuvre d’Orient dans la Croix, en 2007. Cependant, « le gouvernement interdit la conversion et le prosélytisme au sein de la population musulmane », précise l’AED.

« Quant à la Syrie, poursuit Mgr Brizard, c’est une dictature qui tient comme un couvercle sur la Cocotte- Minute.Mais au moins, les chrétiens n’y sont pas victimes d’ostracisme. Ce qui n’est pas le cas ailleurs, en Irak bien sûr, mais aussi en Égypte, un pays qui m’inquiète beaucoup. » En novembre, des émeutiers musulmans ont incendié des boutiques appartenant à la minorité chrétienne copte, à Farchout. En Égypte, « nous nous sommes presque habitués à voir nos églises brûler, nos femmes être forcées à se convertir à l’islam », a déclaré le père Athanasios Henein, qui dessert la communauté copte en Grèce. Il parle de « génocide culturel ».

Force est de constater que la situation des chrétiens en terre d’islam se détériore rapidement, y compris dans les États prétendument laïcs comme la Turquie .Ils représentaient près du quart de la population turque au début du XXe siècle, ils seraient aujourd’hui moins de 100 000,en but à d’incessantes tracasseries. Le gouvernement islamiste de l’AKP tente de spolier les chrétiens des biens et de propriétés pourtant déclarés inaliénables par Mustafa Kemal en 1936. L’Église de Turquie figure pourtant parmi les plus anciennes du monde, rappelle Marie-Ange Siebrecht, responsable du Moyen-Orient à l’AED.

En Algérie, dont la Constitution garantit théoriquement le respect des croyances, les musulmans convertis au christianisme sont exclus des emplois publics .Le gouvernement s’inquiète du nombre croissant de conversions. «L’islam ne distingue pas le spirituel du politique et du temporel. Il ne peut donc pas concevoir l’expression publique d’une autre foi. Les musulmans qui voudraient se convertir sont empêchés de demander le baptême », rappelle Mohammed-Christophe Bilek. Ce Kabyle, qui vit désormais en région parisienne, a fondé Notre-Dame de Kabylie, récemment reconnue par l’évêque de Créteil comme une association de fidèles laïques. Il y aurait selon lui 30 000 à 50 000 “néochrétiens” en Algérie, surtout en Kabylie.Une ordonnance de 2006, signée par Abdelaziz Bouteflika, punit d’emprisonnement « quiconque incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ».

Même en Indonésie, souvent présentée comme un modèle de tolérance, la situation peut tourner à l’affrontement. Le 19 décembre, près d’un millier de musulmans ont pris d’assaut l’église Saint-Albert, dans le département du Bekasi, près de Djakarta. L’église, en cours de construction, disposait pourtant d’un permis, comme l’exige la législation locale. «La Constitution garantit la liberté religieuse mais, depuis quelques années, ce droit est de plus en plus souvent menacé par une intense campagne d’islamisation menée par des mouvements extrémistes, contre laquelle le gouvernement s’avère souvent impuissant », constate l’AED. La situation est encore compliquée par les risques de sécessions provinciales. On ne peut pas expliquer ni comprendre ces conflits interreligieux sans considérer aussi les histoires locales.

Au Pakistan, par exemple, les chrétiens appartiennent pour la plupart à la caste des intouchables, ce qui accroît l’ostracisme dont ils souffrent. Au Soudan, les affrontements recouvrent des différends ethniques séculaires entre le Nord, arabo-musulman, et le Sud, où vivent des populations noires, animistes ou chrétiennes, qui ont longtemps été réduites en esclavage par celles du Nord. Les accords de 2005, qui ont mis fin à la deuxième guerre civile, prévoient l’organisation d’un référendum d’autodétermination en 2011, que les autorités de Khartoum font tout pour empêcher. « Les Occidentaux et les Chinois, très actifs en Afrique, sont plus intéressés par les ressources pétrolières et minières du Soudan que par le sort des chrétiens du Sud », déplore Christine du Coudray, qui est responsable de l’Afrique à l’AED.

Mais c’est surtout en Irak qu’interviennent dans le martyre des chrétiens d’autres motifs que l’argument religieux : depuis l’intervention américaine consécutive aux attentats d’Al-Qaïda, les chrétiens sont souvent assimilés aux Occidentaux – surtout aux Américains – par les musulmans.«C’est une impression générale dans le monde musulman. L’Occident est chrétien, donc les chrétiens sont occidentaux.C’est une erreur magistrale ! Les chrétiens d’Irak ont été chrétiens avant les autres.Nous avons des racines historiques ! », rappelle Mgr Jean Sleiman, archevêque catholique de Bagdad (lire ci-contre).

En Irak, “une véritable épuration religieuse”

Persécutés, les chrétiens d’Irak ont préféré déserter leur pays. Ils étaient plus d’un million avant la première guerre du Golfe, ils seraient trois fois moins aujourd’hui. À Dora, l’un des quartiers de Bagdad où ils vivaient nombreux, ils ont subi « une véritable épuration religieuse », a déclaré Mgr Sako, archevêque chaldéen de Kirkouk, en 2007.«Les chrétiens d’Irak n’ont plus vocation à vivre dans la dhimmitude, ils en ont trop bavé, écrit Sébastien de Courtois dans le Nouveau Défi des chrétiens d’Orient (JC Lattès). Les devoirs imposés aux minorités religieuses issues du Livre, juifs et chrétiens, ne sont plus compensés à notre époque par aucun droit, sinon celui de faire profil bas. » (La dhimmitude correspond au statut des non-musulmans en terre d’islam, fixant leurs droits et leurs devoirs.)

Tout est-il perdu ? Rédacteur en chef d’Église d’Asie, Régis Anouil fait valoir qu’« aucune majorité n’a jamais porté les partis islamistes au pouvoir, ni au Pakistan ni en Indonésie ». C’est la preuve, selon lui, que « les sociétés civiles s’organisent progressivement » et peuvent faire échec à l’extrémisme. Et les chrétiens sont nombreux à demander par la prière le courage de rester. « Après avoir découvert les corps crucifiés de sept de ses fidèles, Mgr Kussala [l’évêque soudanais] a organisé trois jours de pèlerinage et de jeûne », souligne Christine du Coudray, de l’AED. Leur martyre prouve que l’Église continue de déranger, parce qu’elle seule reste attentive aux plus faibles dans des pays oubliés ou convoités seulement pour leurs richesses matérielles. « Elle est la voix des sans-voix. »

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